– “Ca se passait souvent dans des parcs de jeux… J’observais, je repérais les garçons qui étaient un peu en retrait des autres et qui jouaient avec leur Game Boy”

– “Où se trouvaient les parents de ces enfants ?”

– “Ils n’étaient pas là. La plupart habitait autour du parc et les gamins n’étaient pas accompagnés”

– “Donc vous observiez les garçons qui étaient plutôt solitaires ?”

– “Oui”

– “Et après ?”

– “Je venais plusieurs fois d’affilée dans le parc pour mieux connaître les habitudes d’un gamin en particulier, les jours où il venait, les heures et tout ça… Généralement, c’était au bout de la troisième fois que je l’approchais. Les deux jours précédents, j’observais en restant assis. Je jouais moi aussi à un jeu vidéo sur un modèle dernier cri et en même temps, je surveillais ce qui se passait. Au bout du troisième jour, je feignais d’avoir un problème avec ma console et c’est là que je décidais de m’approcher du gamin pour lui demander si il avait des infos sur le jeu. Quand les gosses voyaient ma Game dernier cri, ça permettait d’entamer une discussion”

– “Et une fois que le contact était établi, que se passait-t-il ?”

– “Je proposais au gamin de l’emmener voir tous les jeux que j’avais chez moi”

– “Combien de temps vous fallait-il pour gagner la confiance de ces jeunes garçons de 10-12 ans ?”

– “Je me laissais 5 minutes. Pas plus.”

– “Est-il arrivé qu’un enfant ne vous suive pas parce qu’il n’avait pas confiance en vous ?”

– “Non, c’est jamais arrivé…”

 

Derrière le masque…

Daniel venait tout juste d’avoir 30 ans au moment où je l’ai rencontré pour cet entretien. Il était sorti de prison quelques mois auparavant et était suivi par une thérapeute. Comprendre son mode opératoire et sa structure psychologique permet de mieux peaufiner les typologies des agresseurs d’enfants mais aussi de mieux alerter à travers des programmes de prévention.

Le profilage criminel intrigue autant qu’il peut parfois révulser. Et les séries américaines ont su rendre cette technique encore plus intrigante en plaçant les héros dans des contextes ultra modernes, avec des moyens budgétaires et humains colossaux. La vérité est très éloignée de cette image. Le département des sciences du comportement de la Gendarmerie Nationale (DSC) intervient avec les moyens du bord : pas de jet privé qui mène sur une scène de crime et encore moins de médiums prêts à révéler le nom et l’adresse du domicile d’un grand pervers.

  • Pour reconstituer un crime et produire un profil psychologique du ou des auteurs, il faut se baser sur un dossier comprenant : l’étude du lieu où a été retrouvée la victime (scène de crime)
  • le profil victimologique
  • le rapport médico-légal

Ceci n’est qu’un bref résumé, mais à partir de là le profilage criminel permet d’évaluer le mode opératoire utilisé par le criminel et de construire son profil psychologique probable. Ce dernier sera affiné tout au long de l’enquête dès qu’un nouvel élément sera mis à la disposition des enquêteurs et du criminologue. Cela permettra également d’établir des stratégies dans l’orientation des recherches.

Mais lorsque l’auteur d’un enlèvement, d’une agression ou d’un meurtre n’est pas arrêté de suite et que nous ignorons tout de son identité, il faut s’en tenir aux indices qu’il a laissé derrière lui (si il en a laissé) et aux divers témoignages qui permettront l’élaborer le profil qui se rapprocherait le plus de celui du criminel.

Pendant que les éléments de base sont étudiés, il faut répondre à cette première question :

Qu’est-ce qui a motivé l’agresseur / le criminel au moment de son passage à l’acte ?

Les motivations sont diverses et variées et en voici quelques exemples :

Le mode opératoire, le mobile du crime, le lieu de l’acte, le choix des victimes et la signature criminelle permettent d’évaluer la personnalité de l’auteur des faits, de donner une fourchette d’âge, d’en savoir plus sur sa vie sociale ou encore son niveau intellectuel.

Chaque acte de violence, chaque crime est à traiter au cas par cas.

Et pour comprendre qui est le criminel et pourquoi il a agit ainsi, il n’y a pas d’autre choix que celui de se mettre à sa place et de raisonner de la même manière que lui…

 

Regarder au fond de l’abysse…

En criminologie, certains professionnels ne sont pas pour l’utilisation de cette méthode : se laisser investir de la perversité d’un autre serait dangereux. Au point de devenir soi-même un tueur ? Une structure de personnalité “normale” ne basculera pas dans les noirceurs du crime. Mais le jour où l’exercice se teinte d’émotions négatives aussi bien dans la vie professionnelle que personnelle, il est important de prendre la distance nécessaire. Savoir repérer ses limites est une bonne chose car raisonner comme un criminel peut s’avérer envahissant, même si ce n’est que pour le temps d’une enquête.

Tour à tour, que nous soyons dans la tête du prédateur ou de la victime, le profilage induit une seule et unique question :

  • Pourquoi ?

Revenons à Daniel, celui qui a agressé six petits garçons. Notre entretien s’est passé après son arrestation et sa condamnation. Avant la prison, il projetait d’enlever un garçonnet et de l’emmener avec lui, au loin. Mais imaginons la scène suivante : Daniel n’a jamais été arrêté. Un enfant est enlevé et nous ignorons tout de l’identité de l’auteur. Voici un exemple de raisonnement du profilage criminel dans lequel il faut investir le mode de pensée de l’auteur :

  • “Pourquoi je choisis cette victime et pas une autre ?”
  • “Pourquoi je suis plus à l’aise dans ce lieu ?”
  • “Pourquoi vais-je prendre tel ou tel risque ?”
  • “Pourquoi est-ce que je m’apprête à faire cela ?”

Ces quelques interrogations permettent de mieux cerner la personnalité de l’individu qui a commis cet enlèvement et d’avoir une vision plus nette de ce qui a pu arriver. Le profilage n’est pas une forme de “médiumnité” ni une science permettant d’établir des éléments définitifs. Car l’erreur existe !

Pour faire du profilage criminel et se placer dans la tête du coupable, il faut tout d’abord bien se connaître soi-même, tout en déterminant ce que l’on peut faire et ce que l’on ne peut pas faire. Etre conscient de ses limites est essentiel. C’est ce qui permet de se métamorphoser en criminel mais aussi en victime, le temps de l’enquête. Ce n’est donc pas en étant froid et distant que l’on obtient cet état, mais en se montrant empathique et… humble.

 

Quand l’abysse regarde aussi au fond de l’autre…

Une fois les profils dressés, les enquêtes menées et les suspect arrêtés, il convient de se retrouver face à eux. L’objectif n’est pas de juger leurs actes ni de déverser une colère dont ils n’ont que faire. Le but est de comprendre leur mécanismes internes pour expliquer leurs gestes à la justice, aux familles des victimes et parfois à la victime elle-même lorsqu’elle est encore en vie. Comprendre leur mode de fonctionnement s’avère également fondamental pour les programmes d’analyses criminelles.

On s’imagine toujours des tas de choses sur le “monstre” qui a fait cela. Mais au final nous ne nous retrouvons qu’en face d’un homme, ou d’une femme, parfois capable du pire. Durant l’entretien, il faut glaner des informations, saisirent ses gestes d’inconfort, les incohérences entre ce qu’il dit et ce qu’il montre, d’éventuels signaux de tromperie ou de sincérité et observer ses émotions :

  • les émotions qu’il ressent et qu’il montre
  • les émotions qu’il éprouve mais dont il ignore l’existence sur son visage et dans ses gestes
  • les émotions réelles qui sont ressenties mais qu’il ne veut pas montrer

Toutefois, durant ce temps d’observation, le criminel aussi scrute celui ou celle qui se trouve face à lui.

J’interviens essentiellement auprès des pédophiles qui avouent généralement assez vite ce qu’ils ont fait et qui fuient volontiers le regard de l’autre. Sauf lorsque le trait de personnalité tire vers la psychopathie ou la perversité. L’individu est assis, fait face, mais son esprit se fixe sur la personne qui l’interroge, il sonde la moindre faille dans laquelle il pourrait s’engouffrer. Chez les pervers et les psychopathes il n y a pas de remords ni de bienveillance d’aucune sorte. Ils savent parfaitement repérer les points sensibles de leurs interlocuteurs. C’est pourquoi il faut des professionnels expérimentés et extrêmement solides pour ce genre d’entretien. Rentrer dans le jeu de ces types de personnalités équivaut à se laisser enfermer dans leur piège.

Les criminels psychopathes et pervers sont irrécupérables.

Ainsi, quand l’affaire le requiert, le profilage nécessite de plonger au fond de l’abysse afin de trouver le médaillon manquant…

SB.

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Crédits photos © pixabay.com/

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